Révision des lois de bioéthique : Enjeux de société et de réflexion.

Révision des lois de bioéthique : Enjeux de société et de réflexion.

Au terme de près de deux années de navette parlementaire entre l’Assemblée Nationale et le Sénat marquées par la crise du covid avec ses nombreuses conséquences sanitaires et sociales, le projet de révision des lois de bioéthique a été définitivement adopté le 29 juin dernier. Cette nouvelle loi (qui a fait l’objet d’une saisine du Conseil Constitutionnel qui devra se prononcer avant sa promulgation) – qui    introduit dans le droit français de nouvelles dispositions notamment, sur l’assistance à la procréation, l’établissement de la filiation et la recherche sur les cellules souches embryonnaires – pose de nombreuses questions juridiques, éthiques et morales, et invite chacun à un véritable travail de réflexion sur le devenir de notre société.

Que prévoit la loi ? Les principales mesures :

La mesure emblématique de cette nouvelle loi est l’élargissement de l’accès à l’assistance médicale à la procréation (PMA) aux couples de femmes et aux femmes célibataires et son remboursement par l’assurance maladie. Jusqu’à présent, la PMA était accessible uniquement aux couples hétérosexuels sur indication médicale.

Autre disposition importante, les personnes nées de PMA pourront à leur majorité accéder à des données sur l’identité du donneur. Ces derniers devront, préalablement au don, consentir à l’éventuelle communication ultérieure de ces données. Les personnes nées de PMA avant la promulgation de la loi pourront saisir la Commission d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur afin qu’elle l’interroge sur son souhait de communiquer ou non ses informations.

L’autoconservation des gamètes en dehors de tout motif médical afin de recourir ultérieurement à une PMA devient possible et pour les femmes et pour les hommes. Jusqu’ici, une femme ne pouvait avoir recours à la congélation de ses propres ovocytes qu’en cas de nécessité médicale. Cette possibilité nouvelle sera encadrée, notamment par des limites d’âge, fixées par décret. Réservés aux établissements de santé publics et privés à but non lucratif, les actes liés au recueil ou au prélèvement des gamètes seront remboursés mais pas le coût de la conservation. Pour éviter toute pression sur les salariés, notamment les femmes, pour les conduire à différer un projet de maternité, les parlementaires ont posé l’interdiction pour les employeurs, ou les personnes avec laquelle l’intéressé est dans une situation de dépendance économique, de proposer la prise en charge des frais d’autoconservation de gamètes. Notons, enfin, la suppression le recueil du consentement du conjoint du donneur de gamètes est supprimé par la nouvelle loi.

Filiation des enfants nés par PMA/GPA à l’étranger : Prévu pour unifier la jurisprudence, le code civil est complété pour préciser que la reconnaissance de la filiation à l’étranger est « appréciée au regard de la loi française ». Pour les enfants nés de GPA, la transcription d’un acte d’état civil étranger est ainsi limitée au seul parent biologique (le second parent dit « d’intention » devra passer par une procédure d’adoption).

Dans le but d’améliorer l’accès à la greffe, le don croisé d’organes prélevés sur personnes vivantes est facilité. Les possibilités de dons de moelle osseuse de la part d’un mineur ou d’un majeur protégé au profit de ses parents sont élargies.

Concernant le don du sang, un amendement du gouvernement supprime les mesures excluant les donneurs en fonction de leurs orientations sexuelles.

La recherche sur les embryons : Certains « interdits » sont réaffirmés (Création de chimères par adjonction de cellules animales dans un embryon humain, création d’embryon à des fins de recherche, clonage et réimplantation d’embryons destinés à être réimplantés). La procédure pour les demandes d’autorisation de recherche sur les embryons et les cellules souches embryonnaires (cellules prélevées dans un embryon à son tout premier stade de développement et qui peuvent se transformer en tous types de cellules : peau, muscles, cœur…) est allégée. Une durée limite de 14 jours est fixée pour la culture in vitro des embryons humains inclus dans un protocole de recherche (embryons surnuméraires provenant d’un couple n’ayant plus de projet parental et ayant consenti à les proposer à la recherche).

L’information de la femme enceinte et éventuellement du couple, en cas de recours à de nouvelles techniques de génétique pour explorer un risque avéré de pathologie fœtale est renforcée. Le délai de réflexion d’une semaine en cas d’interruption médicale de grossesse (IMG) est supprimé. Le texte crée une nouvelle catégorie d’avortement : l’interruption volontaire partielle d’une grossesse multiple en cas de mise en péril de la santé de la femme, des embryons et des fœtus.

De nombreuses questions éthiques, des enjeux de société :

Expression de la volonté générale (vision commune et partagée du vivant), encadrant les pratiques médicales et de recherche, permettant l’accès à de nouveaux droits (informations…), assurant la protection des plus faibles et arbitrant les éventuels conflits de droits (acharnement thérapeutique…), les premières lois dites de bioéthique bénéficiaient d’un large consensus et avaient été adoptées à une large majorité au-delà des clivages politiques et partisans. Pourtant, dès l’origine, quelques commentateurs avaient relevé les risques encourus par une dérive législative sur le Vivant. Paradoxalement, en voulant « encadrer » les risques de dérives, notamment sur la recherche embryonnaire, la loi entérinait aussi de nouvelles pratiques médicales qui passaient outre des limites qui semblaient jusque-là infranchissables. Il faut le reconnaitre, le désir de consensus, réaffirmé pourtant au moment du dépôt du projet de loi, n’a pas été atteint. L’adoption de cette dernière loi semble avoir été portée plus par des visées et des intérêts communautaires que par le souci du bien commun. L’adoption en 2013 de la loi dite sur le mariage pour tous a posé les bases d’un nouveau contexte sociétal qui a comme porté cette nouvelle loi. En rupture avec la tradition juridique française qui privilégiait jusque-là l’intérêt général, ces dernières lois marquent une pente vers une nouvelle manière de penser la loi comme garantie de l’ouverture de droits nouveaux à des situations particulières, mais, plus encore, elles ouvrent un nouveau champ de compréhension du Vivant et redéfinissent la fonction propre de l’homme et de la femme et, partant, la situation de l’enfant. Avec ces nouvelles lois, le législateur semble bien avoir ouvert une boîte de Pandore où la tentation de l’hybris pourrait transformer une médecine peu scrupuleuse en école d’apprentis sorciers où les progrès de la technique alliés aux « bons sentiments » risquent bien de frôler avec l’eugénisme. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » affirmait François Rabelais, En actualisant la citation nous pourrions affirmer que science sans conscience est, aussi, « ruine de l’esprit, du corps et du corps social… » En confondant « différence » et « inégalité », « stérilité » et « infertilité », en ouvrant la possibilité d’une assistance médicale à la procréation aux femmes célibataires ou aux couples de femmes, la fonction propre de l’homme est réduite à son seul rôle de géniteur. La question éthique n’est donc pas tant de savoir si une femme seule, ou même en couple avec une autre femme, peut élever un enfant… Combien de femmes seules, veuves, isolées, abandonnées, ont par le passé, et continuent aujourd’hui encore, à assumer courageusement l’éducation de leurs enfants ? Autant de situations qui inspirent le respect et qui sont même reconnues et protégées par la loi, reconnaissant ainsi implicitement « un manque » pour le développement harmonieux de l’enfant. Songeons seulement au statut des pupilles de la Nation ou bien encore de l’attribution de l’allocation pour parent isolé, au bénéfice dans la très grande majorité des cas de femmes qui assument seules l’éducation de leur enfant. Faut-il pour autant accepter que des enfants soient conçus privés arbitrairement de la présence d’un père ? Mais, plus philosophiquement encore, nous pouvons aussi nous interroger sur le risque de l’indifférenciation de l’être humain et par sa réification, par sa « réduction » à un « objet » de convention entre des tiers. Question et risque de réification (réduction à une « chose ») de l’être humain que nous retrouvons aussi dans la recherche sur l’embryon. Nul en ce monde n’a demandé à naître. Bien sûr, nul enfant sur la terre ne devrait avoir à répondre des conditions de sa venue au monde, mais, comme en contre partie à sa venue au monde, l’enfant reçoit le droit naturel, garanti par La Déclaration Universelle des droits de l’enfant, d’être élevé par une mère ET un père. Si « le désir d’enfant » est noble et est encouragé et affirmé par le magistère de l’Eglise comme l’expression du désir de l’homme et de la femme de participer dans leur complémentarité à l’œuvre du Créateur, devons-nous, pour autant, accepter l’idée d’un « droit à l’enfant ». L’enfant est appelé à être désiré pour lui-même, et pour lui-même seulement. Il ne saurait être le seul fruit d’un désir individualiste et égoïste et privé du droit élémentaire à grandir dans une famille avec un père et une mère. Ne soyons pas dupes. Derrière l’expression de « bons sentiments », l’apparente promotion de droits nouveaux pour des personnes en situation particulière et l’idée du progrès et d’un hypothétique rattrapage d’un retard de la France sur ces questions fondamentales qui touchent au Vivant, se cachent d’importants enjeux financiers. Ces questions éthiques sont des questions de pays riches et « le prix à payer » risque bien encore d’être assumé par les plus pauvres. Notre réflexion éthique nous oblige aussi à poser un regard universel sur la condition du genre humain. Quelle priorité de la médecine souhaitons nous pour le bien de l’humanité toute entière ? Dans son précis de théologie morale, le théologien Xavier Thevenot nous enseigne qu’une action est moralement juste quand elle prend en compte et articule trois degrés de réflexion ; l’universel (les principes généraux), le particulier (la loi) et le singulier (la situation personnelle de la personne en un lieu et en un temps donné). Le rappel de ce principe peut nous aider à apprécier et à appréhender les questions éthiques liées à la procréation. Dans un véritable désir de contribuer au Bien Commun nous ne pouvons pas dans nos réflexions éthiques nous arrêter sur l’une seule de ces considérations au risque d’être soit idéalistes ou idéologues, soit légalistes bornés, soit purement individualistes. De même que tout homme doit être appréhendé avec tout ce qui constitut son humanité, corps âme et esprit, de même, nous ne pouvons envisager ces questions éthiques sans avoir une vision globale de l’humanité.

Une invitation à une réflexion individuelle et collective :

Le magistère continu de l’Eglise Catholique nous enseigne que l’homme est appelé à toujours obéir à sa conscience mais qu’il a, aussi, le devoir d’éveiller et d’éduquer sa conscience. Le philosophe Paul Ricoeur dans son ouvrage « soi-même comme un autre » définit la vie morale comme « le désir d’une vie bonne, avec et pour autrui, dans des institutions justes ». Dans la suite de cet enseignement, le théologien jésuite Alain Thomasset dans son précis de théologie morale « Interpréter et agir », rappelle que la vie moralement juste du croyant est le fruit d’une triple herméneutique (une triple interprétation à la recherche du sens) ; Une herméneutique de la Parole de Dieu, une herméneutique de la Tradition (l’enseignement de l’Eglise), et une herméneutique de l’existence croyante. A la lumière de l’Evangile, guidé par la prière et la force de l’Esprit saint, nous encourageons tous les membres de notre Ordre, les bénévoles, le personnel et les résidents de nos établissements médicosociaux, leur famille et tous les hommes de bonne volonté à prendre le temps de la réflexion sur tous ces enjeux éthiques. Dans une véritable volonté de dialogue, dans le respect des situations et des convictions de chacun, ne craignez pas d’échanger sur ces questions qui paraitront peut-être lointaines à certain mais qui cependant touchent chacun car il y est question de la Vie, du Vivant, de la société que nous voulons bâtir et de son devenir.

Pour nourrir votre réflexion, vous pourrez consulter les pages dédiées à la bioéthique sur le site de la Conférence des évêques de France. Pour une information à contrecourant du discours médiatique convenu, vous pouvez également consulter le site de « Juristes pour l’enfance » pour un regard plus juridique ou bien encore celui de la fondation Jérôme Lejeune sur la question plus particulière de la recherche sur l’embryon.

Père Stéphane-Jacques Ruchon